Sévèrement impactés par la crise sanitaire mondiale, les hôteliers ont dû se réorganiser. Parmi eux, certains n’ont pas hésité à monter au front, en ouvrant leurs bras aux soignants.
En nous recevant au C.O.Q. Hôtel, son directeur, Florian Bitker, nous prévient : “un hôtel fermé c’est un peu triste et pas très bien rangé”. Quelques tables déplacées, des paquets et cartons posés ici et là, et un silence qui traduit une étrange immobilité. Personne ne pourrait imaginer que cet hôtel boutique élégant servit, quelques mois auparavant, de front de bataille dans la lutte contre le coronavirus. Mobilisé volontaire, Florian Bitker nous raconte cette extraordinaire aventure.
Le 16 mars 2020, face à la vague de contaminations au Covid-19 qui submerge la France, le gouvernement annonce le confinement généralisé du pays. Situé dans une petite rue adjacente au boulevard de l’Hôpital dans le 13e arrondissement de la capitale, encadré par la Pitié-Salpêtrière, le plus grand hôpital d’Europe, et une clinique privée, le COQ Paris ferme ses portes le jour-même. “Une bonne semaine a été nécessaire pour s’organiser parce qu’un hôtel n’est pas fait pour être fermé, explique le directeur des opérations, on n’est pas censé couper l’eau ni l’électricité, il n’y a pas non plus de porte sécurisée.”
L’appel du 27 mars
Le pays est confiné depuis une petite dizaine de jours quand, le soir du 27 mars, Florian Bitker reçoit un appel de la clinique toute proche de l’hôtel : “ils venaient d’ouvrir cinq services de réanimation en quatre jours et attendaient l’arrivée d’une vingtaine de soignants volontaires venus en renfort du Havre, mais ils ne savaient pas où les loger.” Le directeur de l’hôtel informe alors son patron. Bien que la clinique ne puisse pas prendre en charge l’hébergement des soignants le propriétaire du COQ n’hésite pas une seconde, l’hôtel va rouvrir ses portes pour les accueillir.
Une autre paire de gants
Mais accueillir des touristes américains et héberger des soignants réquisitionnés pour lutter contre un virus hautement contagieux sont deux paires de manches. “Je ne pouvais pas faire revenir du personnel de l’hôtel pour ne pas les mettre en danger, ça ne pouvait donc être que des collaborateurs volontaires, et en l’occurrence des managers parce qu’il faut un minimum d’expérience, explique Florian Bitker. Le directeur, alors confiné, retourne à l’hôtel avec son chef de réception, une autre directrice et leurs conjoints respectifs, venus en renfort.
A six, et sans aucune expérience en la matière, ils se retrouvent à devoir mettre en place des normes sanitaires totalement inconnues. “On avait aucune idée de la façon de procéder. Les personnels de santé savent se protéger, se laver les mains, ils connaissent les protocoles, c’est leur métier. Pas le nôtre, confie l’hôtelier. Il fallait se procurer du gel hydroalcoolique et des masques alors qu’il n’y en avait pas à ce moment-là, mais aussi trouver un moyen pour qu’on ne se croise pas parce qu’il y avait chaque jour des dizaines de morts dans les hôpitaux d’à côté.”
Guidé par des proches travaillant dans le milieu hospitalier, le manager élabore son propre protocole sanitaire. L’hôtel est réaménagé et des règles bien précises sont fixées : les soignants et l’équipe hôtelière utiliseront des entrées séparées, un sens de circulation est établi ainsi que des espaces bien distincts avec quatre étages réservés exclusivement au personnel de santé. Le rez-de-chaussée, lui, sera occupé par les managers et leurs conjoints. Des chambres sont entièrement vidées de leur mobilier pour être transformées en salles de pause. Les soignants s’occuperont de la désinfection de leurs espaces, tout sera placé dans de grands sacs poubelles hermétiques et le linge envoyé à la blanchisserie de l’hôtel qui accepte de rouvrir son usine pour les aider.
En ordre de bataille
Le dimanche 29 mars 2020, les soignants arrivent à l’hôtel. Une vingtaine de jeunes femmes, et un homme, âgés entre 20 et 30 ans. “C’était des gens charmants, extrêmement gentils, qui ne savaient pas à quelle sauce ils allaient être mangés”, se remémore Florian Bitker. Mais dès le lendemain, l’hôtelier réalise qu’il leur faut plus qu’un simple hébergement. “Quand ils sont rentrés vers 21h ils n’avaient rien à manger, les restaurants étaient fermés et les horaires des supermarchés limités à cause du confinement.”
Florian Bitker décroche alors son téléphone et appelle tous ses fournisseurs, de l’alimentaire aux produits d’hygiène. Tous ceux qui peuvent rouvrir leurs usines acceptent de les aider : “dès le lendemain, des camions remplis de café, de viennoiseries, de savons se sont présentés à l’hôtel. Ils nous ont offert entre 800 et 1500 euros de marchandises”, se souvient le manager.
Marmites versaillaises
Le propriétaire du C.O.Q. s’active lui aussi de son côté : “tous les lundis, il faisait le tour de ses voisins versaillais qui remplissaient son coffre de salades de pâtes, de gratins et de toutes sortes de plats pour les soignants.” Les enfants participent aussi en faisant des dessins qui viennent décorer les murs de l’hôtel. “Les gens voulaient vraiment aider”, souligne Florian Bitker qui évoque également le soutien du voisinage de l’hôtel. “Après avoir vu l’une de nos photos sur Instagram, une habitante du quartier a organisé une chaîne alimentaire. On a reçu tellement de nourriture qu’on a dû rallumer tous les frigos”, sourit-il.
Pour des raisons sanitaires, les soignants n’ont pas accès à la cuisine. Ce sont donc les managers de l’hôtel et leurs conjoints qui, dormant sur place chacun leur tour, préparent les petits-déjeuners comme pour des clients ordinaires. Pour le reste, ils élaborent un système de room service : ils dressent le menu du jour en fonction de ce qu’ils reçoivent, le partage sur un groupe Whatsapp et les soignants n’ont qu’à appeler la réception pour commander ce qu’ils désirent.
En plus des hôteliers, fournisseurs et voisins, des chauffeurs Uber participent également à l’effort collectif. En apprenant la situation des soignants alors qu’ils reconduisent le directeur chez lui, plusieurs d’entre eux offrent leurs services. “Il y avait chaque matin des voitures postées devant l’hôtel qui attendaient les soignants pour les conduire à l’hôpital”, se souvient Florian Bitker.
Marmites versaillaises
Afin de ne pas contaminer leurs proches, les soignants décident de ne pas rentrer chez eux pendant toute la durée de leur mission. Les hôteliers sont donc les seules personnes qu’ils côtoient à l’extérieur de l’hôpital. “Ils rentraient la mine défaite, extrêmement fatigués, se rappelle Florian Bitker, ils avaient besoin de parler, d’évacuer. Ils s’asseyaient à l’entrée du lobby, on gardait nos distances, on portait tous un masque, et ils nous racontaient leurs journées. A Paris, c’était l’hécatombe. Des gens mouraient dans leurs bras toute la journée alors que la plupart n’avaient jamais été confrontés à un décès. Ce n’était pas leur métier. Certains faisaient de l’orthopédie.” Les hôteliers vivent la crise de l’intérieur. Ils partagent aussi les bonnes nouvelles, les guérisons. “On a vécu de grands moments, sourit Florian Bitker. On était très soudés. C’était comme à la maison, loin des codes hôteliers quatre étoiles habituels.”
Six semaines plus tard, le nombre de contaminations est en forte baisse, les hôpitaux se vident peu à peu, les services de réanimation ferment et les soignants rentrent chez eux. Le C.O.Q. hôtel éteint à nouveau ses lumières.
L’hôtellerie de demain
Mais en attendant que la vie hôtelière reprenne son cours et que l’établissement puisse à nouveau accueillir les voyageurs entre ses murs, le COQ a trouvé la parade en inventant la chambre d’hôtel de demain : une chambre qui se déplace. Une chambre de luxe intégrée dans un van Volkswagen. Comme un camping car mais version hôtellerie de luxe. Le concept, qui a fleuri dans l’esprit de Florian Bitker avant l’apparition du coronavirus, apparaît particulièrement opportun alors que ses chambres classiques se trouvent au repos forcé.
Les deux nouvelles chambres roulantes du C.O.Q., elles, prennent le large pour la nuit. Conduites par un membre de l’hôtel, elles transportent leurs passagers vers une destination surprise, dans les environs de Paris, pour une nuit “seul au monde”. En plein coeur des vignes, au milieu d’un parcours de golf ou sur un site historique, cette escapade en solitaire s’enrichit de multiples attentions luxueuses, de la bouteille de champagne au repas gastronomique en passant par la panoplie yoga. Et mieux que la distanciation, elle garantit l’absence totale de voisins.