Odyssée Française

Récit d’un voyage au temps du coronavirus

En pleine pandémie mondiale, les histoires de voyages avortés, de séjours chamboulés, d’épopées internationales sont nombreuses. Basée à Manille, notre rédactrice française Manon Tomzig nous raconte son retour en France, et ses rebondissements.

Le confinement, vous connaissez. Les Philippins le connaissent aussi très bien. Le pays détient le record du confinement le plus long au monde. Plus long encore que celui de Wuhan. Trois mois enfermés à double tour. Et après une série de subtiles assouplissements, on reconfine à nouveau face à une inquiétante recrudescence. Ce fut aussi l’un des plus autoritaires au monde. Seules sorties autorisées : une personne par foyer, tous les deux jours, pour s’approvisionner en produits de première nécessité. Certains quartiers ont même été privés de cette faveur. Et pour les opposants, c’est la prison assurée. 30 000 arrestations dès le premier mois. Le président a été clair : ordre donné à l’armée de tirer sur les récalcitrants menaçants.

Après douze semaines à ce rythme là, j’avais fait le tour de mon appartement, de mes fiches cuisine et de ma bibliothèque Netflix. Mon tiroir à chaussettes était parfaitement rangé et mon tapis de gym usé jusqu’à la corde. La saison chaude battait son plein et il ne me restait plus qu’à compter les hélices de mon ventilateur. En bref, comme tout le monde, j’étais prête à retrouver le monde extérieur.

Au même moment, la France levait ses restrictions et retrouvait, derrière son masque, un visage familier. Alors dès que le trafic aérien a montré des signes de réveil, j’ai saisi au vol les premiers billets qui ne nécessitaient pas de souscrire à un crédit sur dix ans, et après 10h d’escale sur la moquette de l’aéroport de Bahreïn, mon mari et moi avons retrouvé le sol gaulois.

Nous avions prévu de rester trois semaines.

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À gauche: Au départ de l’aéroport de Manille. À droite: Accueillis par l’art de rue parisien.

Quelques jours avant notre date de retour, un email de notre compagnie aérienne nous informe de l’annulation du premier segment de notre vol : Paris-Bahrein a disparu du système. On se dit qu’il sera certainement remplacé, comme à l’aller. Attendons. Le temps passe, sans nouvelles, jusqu’au jour du départ : plus de vol du tout.

La crise sanitaire bat son plein aux Philippines et le pays est débordé par le retour massif de ses travailleurs étrangers. Les cas augmentent. Les tests manquent. Le pays limite alors drastiquement ses entrées : 400 personnes par jour, pas une de plus. Soit un avion pour le monde entier. C’est la loterie aéroportuaire. Les compagnies aériennes font alors marche arrière : les vols sont annulés, certains restent programmés mais ne décolleront jamais, et pour les plus chanceux, c’est la course aux enchères avec, pour seuls billets restants, des classes affaires à plus de 10 000 euros à deux. A ce prix-là, autant économiser pour son propre carrosse.

Pas de retour en vue.

Commence alors notre vie de nomades parisiens.

De notre chambre d’hôtel nous débarquons chez des amis, puis d’autres, et encore d’autres… Tous se relaient généreusement pour nous accueillir, nous et nos bagages. C’est la valse des appartements et des canapés. A chaque semaine son quartier, son digicode, ses clés, sa couleur de vaisselle, son programme de machine à laver, son épaisseur d’oreiller. Tels des caméléons, nous passons experts dans l’art de la discrétion. Tout en continuant à chercher une solution. (Je vous passe la version longue.) En attendant, nos congés n’étant pas celles d’un prof de lycée français, il nous faut trouver bureau, ordinateurs, connexion internet sécurisée, forfaits téléphone et tout le nécessaire pour travailler. Une seule chose reste inchangée : le contenu de notre valise. Lui aussi fait preuve de flexibilité : pensé pour trois semaines, il servira pour trois mois.

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Être coincé quelque part loin de chez soi est aliénant – même quand cet endroit est Paris.

Je ne peux pas nier l’étrange sentiment que procure le fait de ne pas pouvoir rentrer chez soi. Mais être bloqués à Paris, il y a pire nous direz-vous! Cette aventure de voyage, si elle a nécessité une bonne dose de patience et d’organisation, reste cocasse et des plus anecdotiques. Je souris même en pensant que je me retrouve coincée en France après avoir moi-même couvert pour France 2 la situation des touristes français bloqués aux Philippines aux premières heures de la pandémie. Eux se sont retrouvés à camper la nuit devant les aéroports, encadrés par la police locale. Certains, piégés sur des îles isolées pendant plusieurs semaines, y ont même épuisé leurs économies.

Et à mesure que la situation sanitaire mondiale perdure, les histoires d’immobilisme se multiplient. Comme celle de ce couple d’amis indiens qui, depuis leur mariage en février dernier, se sont vus, en tout et pour tout, deux jours. Elle est coincée en Inde, lui aux Philippines. Les frontières restent fermées. Je pense aussi à cette voisine philippine, travailleuse à Manille, qui n’a pas revu son nourrisson depuis le mois de décembre, resté avec sa famille en province. Et tous les employés des bateaux de croisière, maintenus à quai, loin de chez eux, pour une durée indéterminée. Sans parler de tous ceux qui, incapables de retourner sur leur lieu de travail, ont perdu leur emploi.

Cette facilité de voyager, qui nous semblait si évidente, acquise, normale, il y a encore quelques mois, se révèle aujourd’hui bien plus fragile qu’on aurait pu le penser. On oublie vite que se déplacer à travers le monde reste une aventure extraordinaire, une chance à apprécier. Peut-être que cette pandémie fera alors renaître en nous l’appréciation.