Nous vous avons raconté la semaine dernière le début des aventures de Rebecca Schönheit, notre éditrice allemande qui a tout quitté pour recommencer sa vie ailleurs. Elle a troqué sa carrière de juriste et le confort de sa vie berlinoise pour une petite île de la mer des Wadden, où elle et son mari ont décidé de commencer une nouvelle vie en tant que directeurs d’hôtel – avec le rêve de faire un jour de leur établissement un hôtel digne de Tablet.
Voici la suite de ses aventures. Et au cas où vous l’auriez manquée, vous pouvez retrouver la première partie ici.
— — — —
« Quelques heures au bureau et hop, à la plage. » C’est comme ça que mon mari et moi avions imaginé notre quotidien sur l’île de Langeoog. La réalité, bien sûr, est tout autre. Trois mois se sont écoulés depuis notre arrivée – et la première partie de mon récit – et nous essayons toujours de comprendre comment fonctionne notre hôtel. Ce n’est qu’en m’asseyant pour écrire cette deuxième partie que je réalise combien le temps est passé vite. L’idée était de s’installer à Langeoog pour y vivre une vie plus lente et détendue, d’autant que nous allions nous partager le poste de directeur d’hôtel.
Ce que nous avons appris de ces trois derniers mois, c’est que gérer un hôtel ne signifie pas simplement mettre à disposition une poignée de chambres pour passer la nuit et préparer quelques repas en cuisine. Gérer un hôtel c’est aussi élaborer un tableau de service, comprendre le fonctionnement des logiciels de gestion, organiser les célébrations du Nouvel An… C’est aussi gérer les heures de fermeture, le niveau de fermeté des matelas et les permis COVID-19.
Mais une chose à la fois.
L’industrie hôtelière nous était totalement inconnue, nous sommes donc partis de zéro à bien des niveaux. D’un côté, cela a du bon, car nous abordons les choses avec un regard neuf et sans préjugés. Mais c’est aussi extrêmement frustrant quand vous n’arrivez pas à comprendre une chose aussi fondamentale que le programme utilisé pour l’inventaire des chambres. Heureusement, nous avons avec nous une équipe expérimentée et motivée, du personnel d’entretien aux membres de la réception, en passant par les réparateurs. Indépendamment de toutes nos suggestions, succès et échecs, nos employés travaillent avec engouement et s’assurent que l’hôtel continue à fonctionner sans encombre.
Pour vous donner un exemple de notre naïveté, nous avons eu la brillante – et, pensions-nous simple – idée d’ajouter des bouilloires électriques dans chacune des chambres afin que les clients puissent se préparer du thé ou du café. Notre équipe a pointé du doigt les différents éléments à prendre en compte, comme la façon de nettoyer les bouilloires, leur achat et entretien, les incidents éventuels et leur compatibilité avec notre réseau électrique. Notre petite victoire s’est vite transformée en un véritable chantier. Et on ne parle là que du simple ajout de bouilloires à thé. Vous pouvez donc imaginer à quel point les choses sont devenues compliquées lorsque nous avons commencé à envisager la rénovation des chambres.
Nous commençons aussi à comprendre pourquoi tant d’hôtels engagent des personnes pour s’occuper exclusivement du Channel Manager, le logiciel qui met à disposition vos chambres en temps réel sur les sites de réservation d’hôtels. Le principe est simple, mais seulement si les paramètres sont corrects. Une seule erreur peut causer de sérieux maux de tête. Il peut ainsi devenir tout à coup impossible d’ajouter un enfant à une chambre d’adultes ou de calculer le prix d’une chambre double pour moins de trois personnes. Il y a des gens qui passent leur carrière entière à apprendre à maîtriser ces logiciels. Et maintenant, on sait pourquoi.
Mais on commence peu à peu à prendre nos marques, et on ne peut que saluer aujourd’hui les petits hôtels qui s’en sortent avec peu ou sans aide. Comme c’est souvent le cas dans le milieu de l’hospitalité, ce qui paraît simple et naturel pour le client signifie une charge de travail considérable en coulisse. Cela vaut aussi bien pour l’organisation d’excursions que la mise à disposition de vélos, le nettoyage des chambres ou encore l’élaboration du menu, pour lequel nous essayons d’utiliser essentiellement des produits régionaux et biologiques afin que notre cuisine soit à la fois respectueuse de l’environnement et bon marché pour les clients.
À quelques exceptions près, la meilleure partie de notre nouveau travail est l’interaction avec les clients. L’objectif est de leur offrir un refuge où ils se sentent heureux et décontractés, et la plupart du temps, cela passe par de petits gestes comme écrire une carte d’anniversaire, offrir aux jeunes mariés une bouteille de vin pétillant, recommander nos pubs préférés ou comparer les différents glaciers de l’île. Nous avons aussi eu des échanges plus mémorables, comme lorsqu’un client âgé s’est présenté un jour devant moi pour me demander de lui injecter son insuline, parce qu’il ne pouvait tout simplement pas le faire lui-même. Heureusement, l’une de nos employées est infirmière et a pu prendre le relais. Une autre fois, une cliente avait tellement noué ses cheveux dans sa brosse en les séchant qu’elle n’arrivait plus à les défaire. Avec beaucoup de patience (et d’huile), nous avons finalement réussi à résoudre le problème. La diversité des problèmes, petits et grands, que nous devons traiter est pour le moins étonnante.
Comparativement à mon ancienne vie d’avocate à Berlin, il est agréable de pouvoir résoudre facilement un problème sur place : quand il n’y a pas de question juridique compliquée à éclaircir, et qu’il s’agit simplement de changer un oreiller ou de transporter une valise à la gare. Mais là encore, c’est aussi frustrant de devoir tout gérer : la mauvaise humeur du cocher lors d’une excursion, la météo pluvieuse ou encore les vêtements d’un client jugés inadaptés par un autre. Il n’est pas toujours facile pour moi d’être patiente, d’autant plus quand je sais combien les vacances sont un privilège. Il est particulièrement difficile d’arriver à contenter tout le monde : on ne peut pas par exemple accueillir les propriétaires d’un chien en même temps que des personnes allergiques, ou une classe d’école primaire tout en hébergeant les membres d’une retraite silencieuse qui aspirent au calme intérieur et extérieur.
En dehors du travail, nous avons réussi à nouer de nouvelles amitiés, à rencontrer des gens dans le cadre de passe-temps amusants (une chorale de marins) et lors de moments de détente (des promenades avec des alpagas). Mais ces nouveaux amis ne sont pas les seuls habitants à nous connaître. Les deux journaux locaux ont déjà publié des articles sur les « nouveaux arrivants venus de la capitale », accompagnés de grandes photos en couleur. Donc tout le monde dans le village sait désormais qui nous sommes et à quoi nous ressemblons. Il peut être assez étrange d’être salué dans la rue par quelqu’un qui vous connaît, mais que vous ne connaissez pas ou de réaliser que des informations vous concernant font le tour de l’île sans que vous en soyez à l’origine. Comme nous sommes habitués à l’anonymat d’une grande ville comme Berlin, l’intimité et l’immédiateté sont choses nouvelles pour nous, il est donc d’autant plus important d’avoir un lieu de repli où nous pouvons être nous-mêmes sans avoir à penser aux apparences.
Pour cela, je suis ravie que les travaux de notre appartement avancent aussi bien, et que celui-ci ne ressemble plus au chantier de construction qu’il était cet été quand nous avons emménagé. Il commence à faire de plus en plus froid ici, on ne peut donc plus passer autant de temps dans le jardin, or, ça tombe bien, car l’une des pièces – la chambre – est presque terminée. Nous attendons simplement la livraison d’un nouveau lit qui a été retardée à cause du coronavirus (quelle autre raison?) Je vous épargne les difficultés du bricolage quand on vit sur une île sans voiture. Mais disons simplement que tout est plus difficile quand on ne peut pas se rendre dans une simple quincaillerie ou un magasin de meubles.
Le bilan que nous tirons de ces trois premiers mois est que l’hôtellerie n’est pas un long fleuve tranquille. Le travail est dur, la concurrence intense et les clients exigeants. Néanmoins, il y a chaque jour de nombreux moments qui font que cela en vaut vraiment la peine. De petits échanges ici et là, des conversations profondes avec de parfaits étrangers, des employés qui se surpassent et des moments de triomphe quand on parvient à résoudre des problèmes qui paraissaient insolubles.
Nous poursuivons donc notre aventure, en gardant une chose à l’esprit : il n’y a pas de mauvais temps, seulement des vêtements inadaptés. Nous appliquons ce principe dans notre travail et attendons avec impatience les trois prochains mois, l’hiver et la nouvelle année, en espérant que la COVID-19 ne ruinera pas nos efforts et que nous pourrons maintenir notre hôtel ouvert.
Rebecca Schönheit est la rédactrice allemande de Tablet Hotels, elle a notamment écrit sur l’organisation quelque peu chaotique d’un mariage en pleine épidémie de Covid-19. Pour lire l’intégralité de son aventure hôtelière sur l’île de Langeoog cliquez ici.