Il existe de multiples façons de voyager. Et de multiples raisons de le faire. Pour le plaisir, pour les affaires et parfois, pour sauver des vies.
Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un pilote missionnaire jamaïcain arpenter le ciel philippin. Et pourtant, en regardant bien, vous pourriez en apercevoir un. À bord de son petit avion, Davin Bennett vole au secours d’habitants de provinces isolées qui ont besoin d’une aide médicale d’urgence.
Depuis le début de la pandémie, et la suspension des liaisons entre les multiples îles et provinces du pays, son dévouement a sauvé de nombreuses vies. Rencontre avec un ange aux grandes ailes.
En juillet dernier, Davin reçoit un appel d’urgence, comme il en reçoit plusieurs par semaine. Il s’agit cette fois d’un homme âgé blessé au thorax à la suite d’une chute. Davin consulte les conditions météorologiques : elles sont loin d’être idéales. Mais il décide de partir quand même. Il attrape son sac de survie : des vêtements de rechange, des chargeurs, un peu d’argent, de quoi lire et quelques provisions. Il ne sait jamais combien de temps il sera parti. Selon la météo et le type de mission, il peut s’envoler pour quelques heures, ou quelques jours. Quelques semaines parfois. Sur la petite piste aménagée devant chez lui, le réservoir de son avion est plein. Son coucou l’attend, prêt à partir.
En route, les conditions météorologiques se dégradent. Le vent s’intensifie et la pluie martèle la carcasse de l’appareil qui transporte le pilote et son passager. « Ç’a été une course contre les éléments, se souvient-il. L’atterrissage a été particulièrement musclé. Si vous n’avez pas un minimum de maîtrise, ce genre de situation peut devenir vraiment critique.” Heureusement, Davin parvient à atterrir sans encombre et le patient est transporté à temps à l’hôpital. Mais il sait que cette fois, ça aurait pu mal finir. Il apprendra le lendemain que, dans sa chute, le vieil homme s’était brisé plusieurs côtes et avait les poumons perforés. “Si je n’étais pas allé le chercher ce jour-là, il n’aurait pas survécu. C’est pour cela que je fais ce que je fais. Ça vaut tous les efforts du monde.” Ce fut l’une de ses missions les plus marquantes.
Intervenir lors d’un accouchement risqué, secourir une personne accidentée, transporter un patient atteint d’un cancer afin qu’il puisse être traité à l’hôpital, acheminer du matériel médical… Depuis le début de la pandémie, et le confinement du pays il y a bientôt un an, les demandes d’assistance ont doublé. Davin a ainsi secouru 184 personnes, dont une majorité de femmes enceintes victimes de complications, et transporté 332 accompagnants. Sans compter les vivres et médicaments. Durant les premières semaines de la pandémie, le missionnaire passait en moyenne une vingtaine d’heures dans les airs. Chacune de ses missions lui rappelle l’importance de son action, mais aussi le rôle crucial de son avion qui, grâce à une prise en charge rapide, permet de sauver de nombreuses vies.
Originaire de la Jamaïque, Davin découvre les Philippines pour la première fois il y a dix ans où il est envoyé comme missionnaire médical. Dans ce pays de plus de 6000 îles, il saisit l’importance majeure du transport aérien dans l’assistance aux populations locales. “Avec toutes ces îles et provinces séparées par la mer et le relief, beaucoup d’habitants sont isolés. Il leur faut prendre le bateau, le bus et voyager parfois pendant deux jours pour atteindre l’hôpital le plus proche. J’ai réalisé qu’avec un avion je pourrais aider beaucoup plus de gens.” Il décide alors de passer son permis de pilote. Il part suivre une formation à San Diego et, sept ans après ses premières démarches, il obtient enfin sa licence et devient pilote missionnaire auprès de l’organisation Philippine Adventist Medical Aviation Services.
À bord, les patients sont souvent en souffrance. Et pour certains, s’ ajoute la peur générée par l’altitude et les remous du petit appareil. Alors pour leur changer les idées, Davin dirige leur attention vers la beauté du paysage, et engage la conversation. “J’arrive même à faire parler les plus nerveux, sourit-il. Ce sont toujours des conversations d’une grande richesse. Quand je voyage avec des médecins, ils me parlent de leurs conditions de travail, dans des coins reculés et avec peu de moyens. Quand ce sont des enfants, je leur propose de s’asseoir à côté de moi à l’avant et je leur fais tenir les commandes. C’est le meilleur antidouleur.”
Avec environ 550 heures de vol à son actif, Davin passe beaucoup de temps dans les airs. À la question de savoir ce qui lui traverse l’esprit quand il traverse seul les nuages, il dit repenser souvent à son parcours, à son enfance. “J’ai ces moments d’émerveillement où je réalise que je suis en train de piloter un avion, et j’ai du mal à y croire. Moi qui ai grandi dans la pauvreté, je fais ce que les gens riches font : voler.”
Davin a été élevé dans un milieu défavorisé par une mère adolescente célibataire. Alors chacune de ses missions le touche personnellement. “Je peux facilement m’identifier aux gens auxquels je viens en aide. Leurs histoires me rappellent souvent d’où je viens. Mais malgré ses difficultés, ma mère a toujours été la première à aider les autres. C’est ce qui m’inspire.” De son propre aveu, il n’aime pas particulièrement voyager seul. Il préfère prendre les commandes quand il sait qu’il va être utile.
Davin peut être appelé à n’importe quel moment. C’est une occupation à plein temps, mais il le fait bénévolement. Un accord passé avec sa femme. Professeure de piano, c’est elle qui assure leurs revenus. Davin espère aujourd’hui lever suffisamment d’argent pour acquérir son propre avion ainsi qu’une petite base. Il pourrait alors faire appel à d’autres pilotes et secourir encore plus de personnes.