Jamón ibérico. Sa simple évocation suffit à faire saliver d’envie gourmets et épicuriens. Il partage certains traits de caractère avec le caviar Beluga et le bœuf Wagyu : richesse symphonique au palet, long et lent processus de fabrication, légende culinaire. Il est aussi extrêmement coûteux. Mais quel est le secret des cuisses les plus raffinées au monde ? Comment les apprécier au mieux ? Où aller les chercher ? Installez-vous et préparez vos papilles pour ce voyage en six étapes à travers la fierté ibérique.
La Preparation
Le jambon ibérique provient du porc ibérique à robe foncée – appelé pata negra (patte noire) par les locaux – lui-même issu de sangliers sauvages méditerranéens originaires de la péninsule ibérique. Portées limitées et périodes d’élevage particulièrement longues en font des espèces rares et onéreuses, mais seule l’appellation contrôlée jamón ibérico, la variété la plus noble, requiert un porc de pure race ; celui-ci doit être ibérique au moins à 50% c’est à dire issu d’une truie ibérique.
L’élevage traditionnel leur permet de rester dans leur écosystème, ainsi ils se déplacent librement et se nourrissent eux-mêmes de glands dans un montado ou dehesa (pâturage en portugais et castillan) parsemé de chênaies. On a là une intéressante dichotomie : les porcs peuvent laisser libre court à leur appétit et se gaver jusqu’à l’obésité, stockant ainsi une quantité importante de graisse dans leurs tissus musculaires qui donnera ce goût exquis à la dégustation ; tout en se dépensant pleinement au cœur de ces pâturages, ce qui permet le développement d’une belle ossature, autre caractéristique particulièrement recherchée. Trouver le bon équilibre entre ces deux facteurs est une entreprise délicate mais lucrative, comme pourra l’attester n’importe quel porcher digne de ce nom.
Le Procede
Et ils ont de quoi être fiers, car ces éleveurs de cochons de compétition perpétuent les traditions qui font l’identité de leurs villages ; ils prônent aussi fièrement la qualité de leur dehesa qu’un vigneron celle de son terroir. La production se concentre autour des régions d’Estrémadure et d’Andalousie dans le sud-ouest de l’Espagne et de l’Alentejo dans le centre et le sud du Portugal. « Rien n’est trop beau pour le pata negra » pourrait être la devise ici, surtout quand on pense que la réglementation de l’Union européenne limite le nombre de porcs à un par hectare. Après une période initiale d’engraissement des porcelets, les cochons se nourrissent exclusivement de glands auxquels sont ajoutées des herbes aromatiques, deux éléments majeurs qui font la grande qualité des jambons. Les glands apportent à la viande ces aromes sucrés de noisette et de l’acide oléique à la graisse. Les différentes variétés régionales des chênes prolongent la saison des glands, de septembre à fin mars, avec une période intensive appelée montanera ou glandée, entre octobre et janvier, pendant laquelle les cochons de premier choix s’engraissent pour atteindre les 160 kilos requis par l’Union européenne. En chiffres, cela représente au moins 200 chênes par pâturage, jusqu’à 9 kilos de glands ingérés chaque jour par un cochon et environ 14 kilomètres qu’il parcourt quotidiennement à la recherche de nourriture.
La Preservation
Après l’abattage (ou le sacrifice, selon le terme utilisé), les porchers saumurent les deux pattes avec du sel de mer d’Andalousie à raison d’une journée par kilo de viande, mais seules les pattes arrière sont utilisées pour le véritable jamón ibérico. Elles sont ensuite méticuleusement rincées à l’eau puis pendues et séchées pendant une période allant jusqu’à six semaines ; indispensable, la graisse empêche la fragilisation du jambon. À partir de là, le processus relève d’avantage de l’art que de la science : le temps d’affinage dépendra aussi bien du poids, de la teneur en graisse, de la catégorie de prix visée que des secrets de famille conservés par chaque maison, bien qu’en général cette période s’étend de un à quatre ans. Le jambon perd environ la moitié de son poids en eau et en graisse pendant l’affinage. Le contrôle de la température permet d’assurer une qualité constante du produit fini, certains producteurs déplacent même religieusement leurs jambons à travers différentes pièces balayées par les vents de la montagne.
L’achat
Voici les différentes variétés de jamón ibérico, listées de façon décroissante en termes de prix et de qualité :
LABEL NOIR – 100% ibérico de bellota: porcs à 100% de race ibérique élevés en liberté et nourris exclusivement de glands dans la montanera.
LABEL ROUGE – Ibérico de bellota: identique, sauf qu’il englobe aussi les porcs
à 50% de race ibérique.
LABEL VERT – Ibérico cebo de campo: porcs élevés à l’air libre et nourris de glands et de graines.
LABEL BLANC – Ibérico de cebo: porcs élevés dans une grange et nourris seulement de graines.
Les facteurs déterminants – race, alimentation, conditions d’élevage – sont pris très au sérieux et surveillés de près notamment grâce aux pedigrees et aux règles commerciales strictes fixées pour garantir l’authenticité. Les inconditionnels du jambon ibérique justifient l’incroyable complexité de ces classifications en rappelant ses qualités exceptionnelles : tendresse de la viande, graisse généreuse, marbrure parfaite et saveur succulente. Sans aucun doute le jambon préféré des gourmets américains comme l’atteste l’explosion de la demande depuis la légalisation de ses importations par l’USDA en 2007 ; une popularité qui a fait gonfler les troupeaux ces dernières années. Que vous l’achetiez dans un marché haut de gamme ou chez un marchand de produits ibériques, n’oubliez pas de le demander découpé à la main pour que les tranches soient fines et régulières.
La Presentation
Présenter du jambon ibérique n’est pas bien compliqué : tranchez un beau morceau de pain croustillant et le tour est joué ! Ou bien servez-le sur la table en apéritif et vous ferez le bonheur de vos convives. Vous pouvez aussi l’accompagner de produits frais et de manchego, histoire de relever son goût salé. Il se déguste idéalement à température ambiante : sortez-le du frigo une heure avant pour laisser le temps à la graisse de se détendre. Comme les choses sont bien faites, l’Espagne est aussi réputée pour ses vins rouges.
Les Lieux de Degustation
Vous aurez besoin d’un toit quand que vous irez explorer la question porcine. Et qui sait, elle sera peut-être même affichée au menu. Permettez-nous quelques suggestions :
Atrio Restaurante Hotel
Cáceres, Espagne
Comme le suggère son nom, les plaisirs de la table occupent une place centrale dans la vie d’Atrio. Des plaisirs qui s’apprécient sous un superbe édifice en pierre où se glissent avec soin des éléments d’architecture et de design contemporains. Vos yeux se régaleront eux aussi, mais de délices quelque peu différents : d’originaux signés Warhol et Baselitz, des demeures en pierre de Cáceres ou encore des chênaies où ont élu domicile les cochons ibériques.
Hospes Palacio del Baílio
Cordóba, Espagne
Comment traduire, en architecture, la pureté du pedigree et la succulence divine du jamón ibérico ? Par l’extraordinaire atrium de cet hôtel dont le sol en verre transporte les visiteurs au-dessus des ruines de sa villa d’époque romaine. Ou par les fresques centenaires et les voutes antiques en pierre qui tapissent les chambres. Quelle qu’en soit la forme, l’idée ici est d’inviter l’esprit à voyager à travers l’histoire, à s’émerveiller de l’étendue, de la longévité et de la résonance des prouesses humaines.
Hotel Mercer Sevilla
Séville, Espagne
Mercer Sevilla réinterprète à ravir ses racines andalouses – déluge de lumière méditerranéenne, soupçon de luxe séquestré, et petit faible pour les ornements – version 21ème siècle, en ajoutant aux formes préétablies un mobilier contemporain et une palette tout en blancheur. Commencez la visite par la cour intérieure et flânez jusqu’au rooftop, rien de mieux pour respirer l’atmosphère de la ville, non loin du bar et de la piscine.
Hotel Palacio de Villapanés
Séville, Espagne
Tant que vous trouverez dans votre assiette structures captivantes et couleurs enivrantes, le bâtiment au-dessus de votre tête suivra le mouvement : s’inspirant largement de l’architecture néo-mauresque, cette demeure du 18ème siècle du quartier de Santa Cruz résiste avec aplomb au temps qui passe tandis que quelques ajustements modernes nous ramènent dans le présent. Situé à la jonction entre le Séville contemporain et la vieille ville, ce palace hors norme est au cœur de l’action.
Pousada do Crato
Crato, Portugal
Le mérite ne devrait pas revenir à la seule côte portugaise et pour cela Pousada do Crato a un argument de taille : son château/monastère/palace du 14ème siècle stratégiquement placé comme sur un échiquier au cœur d’un patchwork composé de fermes, de vignes, de forts et d’églises pittoresques. Ce ne serait qu’énoncer une évidence de dire qu’une terre aussi bien faite produit une cuisine de même nature. À vos marques, prêts, mangez !
Torre de Palma Wine Hotel
Monforte, Portugal
Ici, on ne pense pas avec mélancolie à la vie d’un aristocrate du 14ème siècle, on la vit ! On y savoure des vins locaux raffinés et on affine ses talents équestres tout en absorbant comme par osmose des siècles d’une vie de plaisirs. La romance et la grandeur du lieu atteignent leur apogée au Basilii, le restaurant nommé en l’honneur de la famille propriétaire du domaine depuis des générations, et où les chefs réservent aux saveurs de l’Alentejo d’autres avenirs gastronomiques.
Nous tenons à remercier tout particulièrement Journy & Mimo Food pour leur contribution à cet article.