Depuis quelque temps, le Lubéron est partout. Week-ends, vacances, maisons secondaires… On a tous un ami qui part cet été dans le Lubéron. Comme si la France venait tout à coup de découvrir la région. Elle est devenue tendance, bohème, bobo. Et pourtant, elle reste merveilleusement coincée dans le temps.
La route est si étroite que l’on prie pour qu’aucune autre voiture n’arrive en face. Elle se faufile entre les champs d’oliviers, au pied du petit Lubéron. La lumière de la fin de journée apporte à chaque couleur son heure de gloire. Le décor est Hollywoodien, le charme en plus. Oppède-le-vieux se trouve un peu plus haut. Le village n’est pas accessible en voiture, il faut finir l’ascension à pied. Et heureusement. Ce serait un sacrilège que de vivre le moment en accéléré. L’apparition de ce trésor de pierre, posé sur un promontoire au creux du massif, est une expérience inoubliable. Subjugués ou effrayés, les envahisseurs ne pouvaient rester indifférents à l’approche de cette merveille fortifiée.
Oppède le Vieux appartient aux “villages perchés” du Lubéron. Dans les plis de la roche, il veille sur les environs : tapis de chênes, vignes, oliviers à perte de vue et villages voisins. Un emplacement de choix qui devait déjà faire flamber les prix de l’immobilier sous l’Antiquité. Arrivé sur le perron, on est accueilli par un lacis de ruelles en pierre et de maisons du Moyen ge. Tout est silencieux et pourtant, on pourrait croire que les volailles, charrettes et colporteurs viennent tout juste de quitter la place principale. On est presque étonné de croiser un contemporain. Plus loin, les ruelles en calade se glissent sous des arches et grimpent jusqu’au sommet du village où se tiennent l’église du 12e siècle, encore très élégante, et les vestiges du château. On comprend leur choix : la vue est époustouflante. On se prend à guetter, nous aussi, l’arrivée d’un messager.
Au fur et à mesure des siècles, la population a réalisé que la vie était plus douce dans la plaine. Le village s’est alors lentement vidé de ses habitants – un processus qualifié de déperchement – jusqu’à ne compter plus que six personnes en 1940. Il a depuis repris des couleurs, devenant le repère de nombreux artistes.
Sur la route qui serpente à travers les vignes, les champs d’oliviers, et les épaisses forêts, on découvre ainsi un chapelet de villages médiévaux, lovés dans un pli du massif ou en équilibre sur une saillie rocheuse, qui semblent n’avoir jamais quitté leur époque. On a le sentiment de partir à la conquête d’une nouvelle seigneurie, avec un moteur un peu plus performant. Gordes, Ménerbes, Lacoste, Lourmarin… On pourrait écrire des pages sur tous ces villages. Ils ont chacun leur personnalité. Mais ce qu’ils ont en commun, c’est d’avoir été exceptionnellement préservés.
À une époque où les villes changent de visage en l’espace d’une génération, où l’architecture et l’urbanisation servent de terrain de jeux à la créativité et à l’innovation, les villages médiévaux n’ont jamais été aussi populaires. On les visite ou on les adopte pour une seconde vie. Leur charme historique nous rassure et nous réconforte. Ils nous renvoient à quelque chose d’humain, à la boulangère et au marchand de fruits, à des maisons bâties dans la pierre, à des rues que l’on connaît par cœur, aux repères de générations entières. Ils ont arrêté le temps. Et nous offre de ralentir le pas. C’est peut-être ça qui est devenu tendance.
La façon dont ces villages ont traversé les siècles fascine. De même que la relation étroite qu’ils entretiennent avec leur environnement. Une symbiose devenue rare. Une fusion qui en fait presque des œuvres d’art. Ou assurément, qui inspire. Ménerbes est peut-être le plus emblématique : ses constructions de pierre s’étirent sur une cime rocheuse tel un bateau glissant sur la campagne alentour. Un site extraordinaire décrit par Nostradamus et qui attira de nombreux artistes comme Nicolas de Staël, Dora Maar ou encore l’écrivain britannique Peter Mayle. Camus, lui, choisit son voisin Lourmarin.
À une trentaine de kilomètres de là, une autre collaboration entre l’homme et la nature, une autre œuvre magnifiquement préservée : le village de Roussillon et son paysage de Far West. Ici, l’histoire remonte à des millions d’années, quand la mer se retira et laissa derrière elle un tapis de sable. L’érosion fit le reste : l’ocre apparut, et avec lui un nuancier de jaunes, de rouges, d’oranges et de pourpres, selon l’heure de la journée. Une flamboyance qui plut beaucoup à l’homme. Dès l’Antiquité, il commença à exploiter la couleur. D’abord pour son propre usage, puis à l’échelle industrielle au XVIIIe siècle. Une production qu’il exporta dans le monde entier, jusqu’à l’apparition des colorants de synthèse. Sous ses coups de pioche, le paysage se transforma : les carrières façonnèrent la roche et lui donnèrent l’allure de canyons américains – l’un des sites les plus visités fut ainsi baptisé le Colorado provençal. À quelques mètres de là, l’ocre sculpta un village entier : Roussillon, élu parmi Les Plus Beaux Villages de France. Entièrement recouvert du pigment qui a fait sa beauté et sa richesse, il nous raconte aujourd’hui son histoire, comme si c’était hier.
Finalement, c’est peut-être cela que l’on vient chercher : des histoires à se faire conter. On retrouve dans ces murs de pierre, dans ces châteaux, et décors médiévaux les histoires pour enfants qui nous fascinaient tant. Ces villages magnifiquement préservés sont des livres à ciel ouvert. Ils nous racontent notre passé comme des hommes qui n’auraient jamais vieilli.