Quelques mois après la réouverture de ses frontières, le Cambodge nous offre un spectacle unique : les temples d’Angkor, dans toute leur essence. À nouveau désertés, après leur découverte au 19e siècle, ils retrouvent leur mystère et leur caractère sacré.
Pas un bruit. Pas un mouvement à l’horizon. Hormis deux perroquets, trônant sur une branche, qui se répondent. Ils se demandent sans doute où sont passés les touristes. Sous leur perchoir, une végétation puissante, exubérante, qui reprend ses droits. Et des divinités qui traversent le temps, sans être dérangées. C’est ainsi que je découvre les temples d’Angkor pour la première fois. C’est ainsi sans doute que l’explorateur et naturaliste français Henri Mouhot les a découverts en 1860. Comme lui, plus d’un siècle plus tard, je me sens seule au monde face à cette trouvaille. Subjugué, l’aventurier décrivit et dessina dans ses carnets la beauté d’Angkor Wat, comparant le temple à celui de Salomon, et son concepteur à Michelangelo. L’explorateur, qui succomba peu de temps après au paludisme, n’eut pas le temps de partager lui-même sa découverte. Mais ses écrits et esquisses firent leur effet : trois ans plus tard, la France, avide de cette merveille, établit un protectorat sur le Cambodge. Et déjà, les divinités n’étaient plus tranquilles.
Après deux années d’immobilisme, le Cambodge a rouvert ses frontières, mais les visiteurs se font encore rares. Dépouillé des colonies de bus, des selfie sticks, du brouhaha et des files d’attente interminables que me décrit mon guide, le plus grand complexe religieux au monde est redevenu un lieu paisible rempli de mystères. Le temps semble s’être arrêté. Nous sommes seuls et lui aussi savoure le moment. Les temples ont retrouvé leur caractère sacré. Des lieux dédiés à la prière et au recueillement. Pressés ni par la foule ni par le temps, nous nous attardons devant chaque pierre sculptée, chaque détail dont il partage avec passion la signification. Symboles, légendes, segments d’histoire se révèlent tandis que nous voyageons à travers les siècles en seulement quelques minutes en touk-touk.
Le plus vaste et le mieux conservé, Angkor Wat est le temple le plus connu. Mais la cité d’Angkor, capitale de l’empire khmer du 9e au 15e siècle, en abrite des centaines. Tous n’auraient d’ailleurs pas encore été découverts. À travers ces constructions imposantes et sophistiquées, les rois khmers manifestaient leur puissance et célébraient leurs divinités. Ici Vishnu, là Shiva, et tout à coup, le sourire d’un Bouddha XXL. Deux religions qui s’entremêlent au sein d’un même temple. Déroutante, inspirante, cette cohabitation s’explique par l’adoption, à la fin du 12e siècle, de la religion bouddhiste par le roi Jayavarman VII. Les temples qu’il fit construire, comme le célèbre temple de Bayon aux centaines de visages, furent consacrés au nouveau culte. Il transforma également des temples hindous préexistants, dont Angkor Wat, en y faisant ajouter de nouvelles sculptures bouddhistes – la plupart ont depuis été détruites par les Khmers rouges ou pillées. Afin de contenter l’ensemble de la population et d’éviter tout conflit de religion, le roi conserva toutefois les représentations des divinités hindoues.
Chaque année, des millions de personnes viennent visiter les temples pour leur caractère sacré, mais aussi pour leur magnificence. Derrière cette splendeur, mon guide souligne la prouesse architecturale. Les temples ont été bâtis à partir de pierres de lave et ensuite recouverts de blocs en grès, bien plus facile à sculpter. Des millions de tonnes acheminées sur des kilomètres puis hissées les unes sur les autres jusqu’à former des tours de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Le tout sous la chaleur cambodgienne. Un travail dantesque difficilement imaginable quand le seul fait d’admirer le résultat nécessite de s’hydrater tous les cinquante mètres. Admirable également, la finesse des sculptures qui en recouvraient presque chaque centimètre carré. Un travail méticuleux qui a sans doute nécessité le savoir-faire de milliers d’artisans expérimentés. Il est particulièrement remarquable sur les façades de pierre rose de Banteay Srei dont l’architecte a fait preuve d’un excès de zèle.
Point d’ancrage pour visiter les temples, Siem Reap, située à moins d’une dizaine de kilomètres, a elle aussi changé de visage. La ville festive et bourdonnante qui m’a été décrite semble tout droit sortie d’un Western, où seule la chaleur réchauffe le macadam. Vidée de ses fêtards, Pub Street a éteint la musique. Seule une poignée de Cambodgiens venus de la capitale sirotent une bière au milieu des banquettes vides. Les salons de massage cherchent clients désespérément et les hôtels kitsch ont baissé le rideau. Allégée des excès du tourisme, Siem Reap se concentre à nouveau sur l’essentiel : servir de porte d’entrée aux temples d’Angkor.
Ça, c’est le point de vue du visiteur ravi de retrouver sa tranquillité. Pour la population, ce calme s’est traduit par une catastrophe économique. Employés d’hôtels et de restaurants, fermiers, guides, chauffeurs de touk-touk, expatriés… avec l’arrêt du tourisme, des milliers de personnes ont été privées de revenus du jour au lendemain. Un quart des Cambodgiens vivant du tourisme, beaucoup ont dû aller chercher du travail ailleurs. Mais ce n’est pas la première fois qu’Angkor fut ainsi désertée. À son apogée, au 12e siècle, la cité était la plus grande de l’ère préindustrielle, couvrant une surface supérieure à celle de Paris aujourd’hui. On estime que près d’un million de personnes habitaient au pied de ses temples. Mais au début du 15e siècle, l’ancienne capitale a été délaissée par sa population qui a migré vers l’est du pays, où se trouve aujourd’hui la capitale Phnom Penh. Selon les chercheurs, cet exode s’expliquerait par un changement climatique marqué par la succession de fortes sécheresses et de pluies intenses qui auraient endommagé les infrastructures de la cité. Submergé, son immense réseau hydraulique n’aurait pas résisté. Une découverte récente qui sonne comme une leçon de l’Histoire face aux événements actuels.
Aujourd’hui, comme par le passé, Angkor ne manquera pas de retrouver sa popularité. Les visiteurs reviendront en masse pour admirer ses splendeurs et boire une bière sur Pub Street ou goûter aux saveurs khmères à la française. Les perroquets seront alors un peu moins déboussolés.
Si vous avez, vous aussi, la chance d’aller découvrir les temples d’Angkor, nous vous recommandons l’hôtel Anjali by Syphon.
L’Anjali a trouvé l’équilibre parfait : située légèrement en retrait du centre de Siem Reap, sa structure brute enfouie sous une végétation luxuriante et percée d’une piscine offre une délicieuse oasis après une longue journée dans les temples. Vous dormirez donc au calme. Mais si vous souhaitez poursuivre la journée par une exploration culinaire, les excellents restaurants de la ville se trouvent à seulement quelques minutes de là. La cuisine raffinée de l’hôtel n’a toutefois rien à leur envier. Le chef propose même des cours personnalisés. Idéal pour apprendre à cuisiner le célèbre fish amok. Vous pourrez aussi compter sur le personnel de l’hôtel pour vous aider à organiser votre emploi du temps, à la manière d’un excellent service de conciergerie.