Aux Oubliettes

Nos cinq meilleures histoires jamais publiées

Nous sommes sans cesse à la recherche d’histoires et d’anecdotes de voyage originales pour alimenter les pages de notre Agenda. Certaines remportent un franc succès. D’autres moins. Et d’autres encore ne sont même jamais publiées. Pourquoi? Difficile à expliquer. Jugez par vous-mêmes.

Avez-vous déjà entendu parler du « Code Grand-mère »? Nous, jamais. Jusqu’à ce que nous tombions il y a peu sur un article du Wall Street Journal qui décrivait en détail un phénomène singulier, celui de la dispersion de cendres humaines à Disney World. Mentionné par un employé de Disney cité dans l’article, le nom de code « Code Grandma », aussi malheureux soit-il, fait référence à l’utilisation d’un aspirateur très puissant pour débarrasser discrètement de cendres humaines les jardins et manèges du parc d’attractions (non sans ironie, le manoir hanté servait de lieu de dépôt privilégié).

En lisant cela, on s’est dit que l’on pourrait s’inspirer de cette histoire pour explorer le lien entre les destinations de vacances favorites et les dernières demeures. C’était un sujet risqué. Et finalement, après plus amples recherches, on a été contraint d’abandonner l’idée, car nos pistes n’ont mené à rien d’autre qu’à la manipulation malheureuse d’urnes funéraires sur des tapis d’aéroport par des agents de sécurité américains. Ce n’était pas exactement ce que l’on avait à l’esprit, et vous auriez sans doute envie de lire autre chose. C’est du moins ce que l’on s’est dit à l’époque. Mais on a réalisé peu à peu que, comme nous, vous êtes curieux, et si l’on trouve une idée intéressante, elle pourrait aussi vous intéresser – ou vous aimeriez peut-être au moins savoir pourquoi on a jugé pertinent d’explorer davantage le sujet.

Haunted mansion
La Maison Hantée de Disneyland qui, selon les dires, aurait reçu son lot de cendres.

La plupart de nos idées d’histoires excentriques – celles qui semblent si inspirées lorsqu’elles sont proposées en réunion d’édition – ont tendance à partir en fumée quand on commence à creuser. Pour vous donner un exemple, on s’est demandé d’où venait l’expression « Montezuma’s revenge » (l’équivalent anglais de la tourista). Était-elle déplacée? Raciste? Oui. C’était à l’origine une simple interrogation. Mais pris d’engouement, nos auteurs se sont penchés sur la question, dans l’espoir de retrouver l’origine de l’expression, son étymologie et peut-être de révéler l’origine suspecte d’autres expressions grossières que nous employons sans réfléchir. Malheureusement, excepté la découverte d’un tas d’autres expressions offensantes pour qualifier le même trouble digestif, cela n’a rien donné. Selon un récit difficile à vérifier datant de 1942, les problèmes d’estomac récurrents associés aux voyages sont apparus chez les soldats britanniques et américains en mission à l’étranger qui ont alors appris à « se protéger contre l’estomac de Téhéran et le ventre de Delhi ».

En orientant nos recherches sur le mystère des problèmes digestifs en voyage, on en est arrivé à la conclusion quelque peu décevante que c’était la déshydratation causée par un trajet en avion associée au changement d’heure soudain qui venait mettre sens dessus dessous notre appareil digestif. On a jugé préférable de laisser cela aux publications scientifiques.

Hobo Signs
Deux pages de Leon Ray Livingston’s « Hobo Camp Fire Tales. »
Dick Whitman
Le jeune Don Draper découvre le mystérieux symbole à la craie laissé par un vagabond dans l’épisode de Mad Men “The Hobo Code.”

Dans un traitement moins corporel du voyage, on s’est par ailleurs demandé comment on pourrait aborder le sujet relatif à l’épisode de la série Mad Men, “The Hobo Code”. Bien que ce ne soit pas le genre de tourisme auquel nous vous avons habitués, les hommes qui sautaient dans les trains en marche à la fin du 19e, au début du 20e siècle représentaient une forme de voyage aussi audacieuse et aventureuse que toutes celles que l’on couvre habituellement. L’idée du “code hobo” – des pictogrammes dessinés dans des lieux publics pour transmettre un message aux autres voyageurs – est fascinante à tous les niveaux. Ces symboles géométriques simples, qui peuvent signifier tout et n’importe quoi, de « attention aux voyous! » à « racolage autorisé dans la rue principale », avaient pour objectif de faciliter la vie des voyageurs.

Malheureusement pour nous, les experts mettent en doute le fait que ce système ait été vraiment utilisé. Ils se concentrent davantage sur les plus tangibles “graffitis hobo”, un système de communication bien moins glamour qui consiste essentiellement à inscrire son nom, une date de passage et une flèche indiquant la direction empruntée. Un petit morceau d’histoire, dans les deux cas. Mais à la suite de nos recherches, on a décidé que l’on préférait la version de Don Draper.

Paris is Burning
Gert Fröbe joue le Général Dietrich von Choltitz (à gauche) face à Orson Welles qui incarne Raoul Nordling (à droite), un diplomate suédois, dans le film de 1966 Paris brûle-t-il?

Un autre événement récent nous a conduits à nous pencher sur un ouvrage populaire, l’un des livres préférés de notre rédacteur en chef, Paris brûle-t-il?, qui a été adapté au cinéma dans la version de 1966 écrite par Gore Vidal et Francis Ford Coppola avec, parmi ses nombreuses vedettes, Orson Welles et Kirk Douglas. C’est l’histoire de Paris, en 1944, à la suite du débarquement allié lorsque l’ordre est donné par Hitler au général nazi en charge de la ville de transformer la capitale en « un tas de cendres ». Selon les mémoires de ce général, en refusant de suivre cet ordre, Dietrich von Choltitz aurait permis de sauver les célèbres monuments de la ville et le Paris d’aujourd’hui. Sa version héroïque des événements est reprise dans le livre, et plus tard dans le film. Une histoire fascinante, et pour nous l’occasion de mettre en valeur de façon originale l’une des destinations les plus célèbres au monde, d’autant plus après l’incendie de Notre-Dame en 2019.

Mais c’était jusqu’à la publication récente de contre-arguments émis par certains historiens qui soutiennent sans détour que la « version des événements de Choltitz est le pur fantasme d’un ancien général qui s’est autoglorifié ». Selon eux, Choltitz n’a jamais eu la puissance de feu ni la capacité de raser la ville. Et au moment où Hitler a donné cet ordre, affirment ces détracteurs crédibles, Paris avait déjà été largement reprise par la résistance. Ne sachant qui croire, on a décidé de ne pas s’aventurer dans une quête de la vérité historique. Finalement, l’héritage le plus tangible de Paris brûle-t-il? pourrait bien être le fait qu’il ait inspiré le titre du célèbre documentaire de 1991 sur la “ball culture” dans la communauté LGBT aux États-Unis, Is Paris Burning? might be how it inspired the title of the now-iconic 1990 drag-ball documentary Paris Is Burning. Réalisation qu’on ne peut que recommander.

Paris is Burning
Gert Fröbe plays General Dietrich von Choltitz (left) opposite Orson Welles as Raoul Nordling (right), a Swedish diplomat in 1966’s Is Paris Burning?

Enfin, la dernière idée non publiée de l’année : celle sur les passagers clandestins d’aujourd’hui, inspirée par un article du New Yorker consacré aux passagers clandestins historiques. Saviez-vous que dans les années 20, à l’ère vibrante du jazz, les adolescents ont lancé la mode du voyage clandestin? Ils sont allés chercher l’aventure au-delà des océans, s’envoyant des lettres à travers le monde et s’inspirant les uns les autres par le biais d’articles sensationnels publiés dans les journaux. De la même manière que les jeunes d’aujourd’hui “se filment en direct sur les toits des grands immeubles ».

On s’est donc demandé ce qu’il en était du passager clandestin d’aujourd’hui. Hélas, les anecdotes insolites, comme celle d’un enfant qui s’échappe d’une virée shopping pour embarquer dans un avion à destination de Rome ou celle d’une âme intrépide qui parcourt le monde incognito dans les entrailles d’un cargo, se perdent au milieu des nombreuses histoires, tragiques et déchirantes, d’individus morts de froid dans la soute d’un avion ou qui ont vécu l’enfer d’une traversée en mer. Des histoires saisissantes qu’on ne se sentait pas capables de raconter.

Mark Twain
Mark Twain en 1867, l’année de son voyage qui a inspiré les « Innocents à l’étranger », à côté d’un buste à partir duquel a été dessiné le prix Mark Twain.

Parfois, quand nos recherches prennent une direction inattendue, on explore la piste jusqu’au bout et on en tire nos contenus les plus captivants. Cela arrive plus souvent qu’on ne le pense. Comme le 4 juillet dernier, quand on a décidé de célébrer la fête de l’indépendance en rendant hommage à l’un des plus grands écrivains de voyage américains – Mark Twain. Au cours de nos recherches, on a réalisé que le point de vue de Twain sur la question ethnique était trop problématique pour être laissé de côté en se disant simplement que « c’était une autre époque ». Au lieu d’abandonner l’idée, on a exposé tous les faits et engagé une conversation sur la satire, la controverse, la critique et le contexte.

On aurait peut-être pu – ou dû – garder et publier certaines de ces idées. Qui sait, peut-être qu’on en aurait tiré nos meilleurs papiers. Ou peut-être qu’il n’y avait simplement rien d’autre à en dire. Difficile de le savoir, mais ce qui est sûr c’est que l’on garde toujours cela à l’esprit. Si vous avez lu jusque-là, vous vous êtes probablement fait votre propre opinion sur le sujet. Alors, n’hésitez pas à la partager dans un commentaire ci-dessous.