Réminiscence des Années folles, cette ancienne gare transformée en hôtel boutique nous fait voyager sur les traces du Pullman Express.
Un grondement lointain. Un nuage de fumée qui se dessine. Un sifflement qui annonce son passage. L’imposante locomotive Pullman se présente à l’entrée de la gare dans un majestueux vacarme. Elle ralentit la cadence, fait glisser quelques instants ses flancs lustrés le long des quais. On aperçoit des élégants qui bavardent joyeusement à bord de ses wagons étincelants. Puis la machine s’élance à nouveau et les Parisiens de la bonne société repartent à destination des plages d’Ostende ou de Knokke.
Nous sommes en gare de Moere, coquette construction de briques située dans la campagne de Bruges, sur la ligne 62 traversée par le célèbre train Pullman qui relie Paris aux stations balnéaires huppées de la côte belge. Ce sont les Années Folles, clinquantes et festives. L’apogée des luxueux voyages ferroviaires. L’Ostende-Vienne Express transporte non loin de là son lot de chefs d’Etat, et la petite gare de Moere est l’un des derniers témoins de cette glorieuse époque.
Prendre le train en marche
C’est en 1999 qu’Irma et Jos Tomassen, à la recherche d’un nid à la campagne, tombent sous le charme de cette ancienne gare. Bien que le lieu fût déjà habité, il nécessitait d’être entièrement rénové. Passionné d’architecture et de design, le couple veut lui redonner vie, l’ancrer dans le XXe siècle.
Mais s’attaquer à une ancienne gare ferroviaire n’est pas une mince affaire. Ils font donc appel à leur ami architecte Jacques Verbeke. “Le salon se trouve dans l’ancien hall, c’est un espace gigantesque et très haut, explique Irma, comme dans un loft. En faire un lieu agréable à vivre était donc un défi.” Le couple tenait également à conserver intact le bâtiment d’origine. “Lorsque nous avons fait des travaux au niveau de la façade il a fallu que tout soit restauré à l’identique, se souvient-elle, jusqu’aux encadrements des nombreuses fenêtres qui devaient reprendre les mêmes matériaux.”
Mais la vocation du lieu était d’accueillir des gens de passage. Et ça tombe bien puisque c’était aussi celle d’Irma, ancienne manager d’hôtel qui rêvait de jouer un jour les maîtresses de maison. Tel sera alors le projet du couple : aménager au sein de la propriété une maison d’hôtes unique baptisée Spoor.62 pour voie n°62.
De Pullman à Le Corbusier
Renouer avec l’histoire des lieux signifie ressusciter le caractère exclusif et sophistiqué des voyages à bord des luxueux trains Pullman. Ce sera donc une maison d’hôtes avec deux chambres, pas plus. Pour être aux petits soins avec leurs hôtes. Et des intérieurs luxueux bien sûr, dans l’air du temps, comme à l’époque. Le mobilier est design, composé de pièces soigneusement sélectionnées signées Le Corbusier, Charles & Ray Eames.
Les chambres se logeront non pas entre les murs de la gare où vit le couple mais dans une structure annexe, un garage moderne construit par les anciens propriétaires. “Le projet a séduit l’organisme responsable de la protection des bâtiments historiques”, se souvient l’hôtelière. L’ancienne gare a en effet rejoint en 2002 la liste des sites protégés. Et ce garage n’était pas vraiment de leur goût. “Ils ont trouvé que c’était une bonne idée d’en faire un lieu de visite et de l’intégrer de façon plus harmonieuse à la gare”, souligne-t-elle.
Il faudra néanmoins respecter certaines règles, comme celle de ne pas agrandir l’annexe ni d’ajouter de nouvelles constructions. Inaugurée en 1868, la gare a opéré jusqu’à l’abandon des lignes ferroviaires locales en 1963. La station de Moere est la seule de la ligne qui a été entièrement conservée. Les visiteurs qui le souhaitent peuvent d’ailleurs découvrir ses intérieurs, guidés par Irma.
Midnight Love
Entre zones humides et forêts, enfouie dans la végétation, l’ancienne gare coule des jours tranquilles. Si les rails ont disparu, la voie subsiste, transformée en promenade verte de 22 km pour marcheurs et cyclistes. “Pendant l’été, quand il fait chaud et que les jours sont longs, on pourrait s’imaginer être dans le sud de la France”, décrit Irma. On pourrait aussi s’imaginer entendre encore chanter Marvin Gaye, qui fut le plus illustre des habitants de la région. Confronté à des problèmes de drogue et d’argent, le chanteur avait quitté Londres en 1981 pour s’installer un temps à Ostende, à quelques kilomètres de là. Un cadre qui l’a sans doute inspiré pour son grand retour.