Pendant plus d’un siècle, l’entrée majestueuse de cette déclinaison de Bains a vu passer le tout Paris, vite rejoint par le gratin hollywoodien.
Une adresse unique, trois fois réinventée : spa, salle de concert/night-club, hôtel. Et à chaque fois, un succès qui l’ancre un peu plus dans la légende. Jean-Pierre Marois, producteur de cinéma, réalisateur et propriétaire des Bains Paris, retrace avec nous l’histoire de cette institution parisienne.
Une histoire en trois temps
1885 : Les Bains Guerbois
L’aventure commence à la fin du 19e avec François Auguste Guerbois, propriétaire du célèbre Café Guerbois, lieu de naissance du mouvement impressionniste. Rien que cela. Imaginez Zola, Degas, Monet, Renoir, Sisley et Cézanne conduits par Manet, le “groupe des Batignolles” comme on les surnomme, engagés dans des conversations artistiques enflammées à une terrasse de café.
Fort de son succès, François Auguste Guerbois se lance dans un autre projet : créer le plus beau spa de la capitale. C’est au coeur du 3e arrondissement, dans le Marais de l’époque, que l’homme d’affaires fait ériger un somptueux bâtiment en pierre signé du célèbre architecte Eugène Ewald. Le succès est immédiat, Les Bains Guerbois deviennent une institution parisienne : on retrouve dans les vapeurs de ses bains chauds le groupe des Batignolles, mais aussi Proust et toute la fine fleur de la Belle Époque.
1978 : Les Bains Douches
C’est dans les années 70 que le père de Jean-Pierre Marois rachète le bâtiment. Ses deux locataires se chargent, eux, d’en faire une salle de concert couplée à un restaurant et à une boite de nuit. La seconde vie des Bains commence et c’est, encore une fois, un succès fulgurant. “Les Bains Douches a ouvert en même temps que le Palace et le Studio 54 à New York, et ça a été une révolution dans la nuit parisienne, raconte Jean-Pierre Marois, habitué de ses concerts de rock dès l’âge de 15 ans. La musique, et notamment le punk, était le premier vecteur d’ouverture sur un monde plus punchy, c’est justement ce qu’offrait Les Bains. C’était plus corrosif, plus sulfureux, plus radical que ce que j’avais connu, ça m’a déniaisé, se souvient-il en riant.”
Entre un concert privé de Prince et un dîner avec le manager des Sex Pistols, il voyait passer tous ses héros : les Rolling Stones, Joy Division, Jack Nicholson… tandis que dans le fond, Mugler, Galliano et Gaultier partagent la même table. Sur la piste en damier signée Philippe Starck se croisent Andy Warhol, David Bowie, Catherine Deneuve, Robert de Niro, Sean Penn, Johnny Depp, Kate Moss ou encore Karl Lagerfeld. “C’était très sélect, tout en cultivant la diversité. Marie-Line, la physionomiste, composait la clientèle comme un peintre sa palette. C’était très éclectique.” Parmi les mannequins et personnalités des médias se faufilent des danseurs de hip-hop et des anonymes, sélectionnés sur leur look.
2015 : Hotel Les Bains
Au début des années 2000, le club commence à péricliter et des travaux sauvages menaçant la structure entrainent la fermeture de l’établissement. Une restauration d’ampleur s’impose. Désireux de conserver le club et le restaurant, Jean-Pierre Marois décide d’en faire un hôtel. Avec une première expérience à travers l’Hôtel Gabriel, situé dans le 11e arrondissement, le monde de l’hôtellerie ne lui est pas tout à fait inconnu.
Et pour le producteur de films, la création est un terrain de jeux. “Le défi ici était de faire entrer Les Bains dans le 21e siècle, car c’était véritablement une institution du 20e. Il ne fallait pas en faire quelque chose de muséal ni de grand public.” Il lance alors un concours d’architecture et c’est le projet le plus irrévérencieux qui le séduit le plus. “Je me suis rendu compte à ce moment-là qu’il fallait vraiment transformer le lieu, qu’une grande liberté était nécessaire pour mieux le réinventer.”
L’art de la mise en scène
Comme pour l’élaboration d’un film, il s’entoure des meilleurs talents : Vincent Bastie pour l’architecture (quelque 80 rénovations hôtelières parisiennes à son actif), Tristan Auer (Le Crillon, l’Hôtel du Louvre) et Denis Montel pour les intérieurs, Alexander Kella du Chateau Marmont pour l’image de la marque, mais aussi un grand nez, un fleuriste japonais de renom, un chef étoilé… Ensemble, ils travaillent à raconter une histoire “car c’est ce genre d’hôtellerie qui fait rêver aujourd’hui.”
Si l’entrée et le salon chinois d’origine ont été conservés, les autres espaces ont été métamorphosés, revendiquant chacun une identité, une ambiance, une expérience uniques. Audacieux et spectaculaire, le restaurant Roxo se situe quelque part entre le salon des années folles et le vortex futuriste, contre-balancé par une sagesse minimaliste contemporaine. Sous son spectaculaire plafond sculpté dans une autre dimension, le chef brésilien Bruno Grossi élabore, au grès de ses envies, des plats dans l’ère du temps où les classiques s’enrichissent de saveurs du monde.
Le bar attenant, comptoir mondain, abreuve les jolis Parisiens de concoctions supervisées par le meilleur mixologiste de France.
Dans les chambres et suites, une tout autre ambiance : les années 50 sont à la fois ravivées et dépouillées. Lumineuses et aérées, elles osent des lignes géométriques et des éclats de couleurs acides.
Entretenir la légende
Si d’apparence l’époque des Bains Guerbois et des Bains Douches semble bien loin, les références à l’histoire des lieux abondent : l’ancienne piste de danse en damier de Philippe Starck habille aujourd’hui le restaurant, des hammams s’invitent dans les chambres, une boutique hybride, installée sur le trottoir d’en face, fait renaître les effluves Guerboises à travers une collection de soins et de parfums, et l’ancien réservoir du spa, une tour de 15 mètres de haut, dissimule désormais une salle à manger privée, l’un des recoins préférés du propriétaire, “un lieu à la Jules Vernes”. L’ADN festif demeure lui aussi : quatre à cinq concerts sont organisés chaque semaine, un festival de musique, des expositions et nombre d’événements culturels renouent avec son héritage, et sa clientèle, artistiques. En attendant leur future incarnation, les lieux s’étaient même transformés en 2013 en résidence d’artistes, une autre facette visible encore aujourd’hui sur les murs de l’hôtel.
“De ce lieu marqué par une forte personnalité, et riche d’un héritage à cheval sur trois siècles est né un hôtel hybride, à la fois marque lifestyle de luxe et label culturel alternatif, fort d’une grande liberté. Un hôtel de contenus s’adressant à une clientèle qui souhaite être sensoriellement sollicitée”, résume Jean-Pierre Marois. Une clientèle peut-être un brin nostalgique qui recherche “le temps perdu retrouvé”, devise projetée sur l’un des murs de ces Bains mythiques.